La vieille recette du bouffe-juif à la nantaise
Capital
On est la capitale de ce qu’on peut. Outre le berceau du Petit Lu, Nantes peut s’enorgueillir d’être la seule ville de France où soit né Jules Verne. Et comme ce Jules a eu quelques poussées antisémites dans ses romans, Nantes se trouve une cohérence d’image et d’histoire : la ville a aussi été classée capitale de l’antisémitisme en Bretagne en 1898 et 1899, avec les manifs bouffe-juif les plus virulentes au moment de l’Affaire Dreyfus : publication d’un « indicateur de Juifs, avec leurs mœurs, adresses professions, état-civil et actes d’associations », liste de magasins catholiques pour boycotter les boutiques des infâmes, insultes dans la presse, création d’une active Ligue patriotique antisémite nantaise. C’est ce que rappelle l’historien Jean Guiffan* en analysant le bouillonnement des calotins, nationalistes, monarchistes et militaristes contre le « traître » Dreyfus, et la riposte des partisans du capitaine condamné au bagne. Mais même à gauche, l’antisémitisme a prospéré, sous couvert d’anticapitalisme dénonçant les grands banquiers juifs. Présentée comme berceau de la tolérance lors des commémorations de l’Édit de Nantes, la ville de l’Édit avait un peu tordu l’Histoire, oubliant qu’à l’époque de la signature du parchemin, elle était infestée par les cathos ultras de la Ligue, ardents chasseurs de huguenots. Dans la ville des noyades de Carrier, de la traite illégale des Noirs après l’abolition, la tolérance a un goût un peu rance.
* La caricature de l’usurier juif « souple d’échine, plat du cœur, rogneur d’écus et tondeur d’œufs », dans le roman Hector Servadac, vaudra à Jules Verne les remontrances publiques du Grand Rabbin, inquiet de voir l’antisémitisme semé auprès des enfants.
** La Bretagne et l’Affaire Dreyfus, Jean Guiffan, édition Terre de brume.