Des ripoux dans la tête
Mairie dional
Il y aurait à la Ville de Nantes des fonctionnaires communaux rompus à des pratiques, qui, disons, enfin, c’est à dire, plutôt pas très… Bref, des pratiques pas bien. Mais quand même, c’est pas beau d’accuser.
Si les accusations de corruption volent bas à la mairie de Nantes, les arguments ne sont pas toujours en béton. Jean Bouyge le découvre depuis 1993. Selon cet architecte, à l’époque en poste d’ingénieur chef au service du bâti, tout commence par son refus de « se montrer bienveillant pour les entreprises « amies », lors de l’analyse des offres ». Un anti-magouilleur ? Ses chefs soutiennent une version boomerang : ce Bouyge n’est qu’un ripou, et il va être facile de le démontrer. Seulement voilà, la démonstration a lamentablement explosé en plein vol.
Convoqué à la mi janvier 1993 dans le bureau de Jean-Antoine Mathys, grand patron des fonctionnaires communaux, l’architecte s’entend accuser de trafic d’influence. Ce qu’on lui reproche ? Rien ne lui est précisé. Le message du jour, c’est qu’il n’a qu’à démissionner pour éviter des poursuites ; sinon il sera traîné devant les instances administratives et pénales. Un peu plus, il devait s’immoler par le feu et manger ses cendres pour faire tout disparaître.
Les sentiments perdront M. Le Maire
Deux mois après, Jean Bouyge est traduit en conseil de discipline, mais ce tribunal interne ne retient aucune des accusations. Ce blanchiment, Jean-Marc Ayrault s’assoit dessus. Et se fend d’une lettre revancharde où il rappelle l’avis du conseil de discipline qui n’a « proposé aucune sanction à votre encontre, estimant qu’il n’était pas établi, au terme des débats, que vous aviez commis des fautes professionnelles de nature à justifier l’application d’une sanction disciplinaire », mais ce brave Jean-Marc, qui est un grand sentimental, ajoute : « J’ai le regret de vous informer que tel n’est pas mon sentiment ; il ressort en effet de divers témoignages que vous vous êtes rendu coupable de fautes professionnelles que j’entends sanctionner. » Total : deux mois de mise à pied sans salaire et une mutation au service de l’eau.
Double lavage
Deuxième salve : ce toujours délicieux Jean-Marc porte plainte pour trafic d’influence et corruption passive contre Bouyge, contraint de comparaître en correctionnelle. Tiens, justement, sa maison… Sa maison, rien. Toutes les factures sont réglo, aucune entreprise n’a œuvré gratis. Le supposé corrompu est purement et simplement relaxé en mai 1995. Deux fois lavé de tous soupçons, l’architecte demande un règlement à l’amiable de ses préjudices. Syndicalistes, avocats, tous se font rembarrer. Il conteste sa sanction au tribunal administratif, mais se fait débouter. Il a fait appel. En janvier 1998, fort de sa relaxe en correctionnelle et de l’avis du conseil de discipline, l’architecte porte plainte contre Jean-Marc Ayrault et deux hauts fonctionnaires pour dénonciation calomnieuse, extorsion de faux témoignages, subornation de témoins. Il ajoute délit de favoritisme et trafic d’influence dans le cadre d’un marché pour la restauration de l’Olympic. « Toute cette affaire ne crée pas beaucoup de vagues. Je n’ai même pas été informé de l’audition de Jean-Marc Ayrault à titre de témoin l’automne dernier », note Me Michel Reveau, avocat de la Ville.
Accroche toi au pinceau
Revenons en 1994. Ancien cinéma, l’Olympic se fait tout beau pour devenir temple du rock. Après appel d’offres, l’entreprise Maquet SA décroche le marché de peinture d’un montant de 185 796 F. Contrat signé et ordre de service suivent. Mais en mars 1995, l’entreprise reçoit un courrier qui la consulte à nouveau pour concourir à l’appel d’offre du marché qu’elle a déjà emporté. Un marché plus copieux. Marcel Maquet, le patron de la société de peinture refuse de répondre à la consultation, imaginant que tout est lié à sa grave maladie : il ne sait pas être souple.
Deux ans plus tôt, le supérieur de Jean Bouyge lui avait pourtant demandé de témoigner pour enfoncer ce malhonnête. N’ayant rien à lui reprocher, Marcel Maquet avait refusé d’inventer un faux témoignage. On lui propose une récompense s’il jouait le jeu, on lui dit de « bien analyser où était l’intérêt de l’entreprise ». De vive voix, un directeur des services techniques lui a clairement précisé « que cet entretien sans témoin n’aurait aucune valeur et qu’il était très facile du fait de sa position hiérarchique, de décider ou non de la conformité d’une offre », rapporte Maquet. Ce qui s’appelle mettre les points sur les i. Maquet témoigne par écrit que « les quelques entreprises qui sont connues pour avoir cautionné cette démarche (de témoignages à charge contre Bouyge) ont vu leur carnets de commande progresser de façon importante, alors que pendant cette même période, mon entreprise n’a pratiquement plus eu aucun marché important, mais uniquement des bricoles pour me faire taire ».
Adjoint aux travaux jusqu’en 1995, le député Patrick Rimbert explique : « Le marché de peinture a été modifié, son montant doublé. On n’a pas voulu passer un avenant au marché, procédure qu’on limite à des augmentations de 10 % des montants. Ça serait passé en conseil municipal. Ce genre de modification, c’est toujours soupçonné, ça fait magouille.»
Dossiers hétéro-destructeurs
« Soit c’est un mauvais fonctionnaire et il suffit de le muter s’il est inadapté à son service, soit il a eu des comportements inadmissibles avec les entreprises et les poursuites pénales suffisent. Mais porter plainte au pénal et le traduire en même temps en conseil de discipline pour d’autres motifs, c’est se piéger soi-même. Les deux dossiers se détruisent l’un l’autre et se retournent contre l’administration qui est d’une incroyable couardise quand elle a des reproches à faire à un fonctionnaire », commente Jean-Louis Gentile au cabinet du maire.
Le juge Jean-Pierre Pétillon, qui a déjà instruit les affaires Nedzela et Omnic, a écopé des deux dossiers Bouyge et Maquet. Si la plainte vise le maire, l’information judiciaire est ouverte contre X. Dans l’affaire de l’Omnic, Ayrault a été condamné à six mois de prison avec sursis en décembre 1997 pour délit de favoritisme. Si les juges retenaient les nouvelles charges contre lui, si la campagne électorale devait tourner vacharde, si la couche d’ozone s’avisait de nous tomber sur la tête, le maire de Nantes se retrouverait en état de récidive. Autant dire condamné par la fameuse loi de l’emmerdement maximum.
Sue Borney