La machine à moissonner les subventions

Publié par lalettrealulu le

Hectartufferie

Les frères Gerbier prétendaient exploiter une fermette de 4 000 hectares. L’Union Européenne, bonne fille, leur allongeait sept millions de francs par an pour les aider à joindre les deux bouts.

La ficelle de lieuse était un peu grosse, mais la combine a quand même marché pendant cinq ans. Les frères Gerbier, négociants en grains à Bennassay, à la frontière des Deux-Sèvres et de la Vienne, avaient inventé un système imparable pour rouler dans la farine les fonctionnaires bruxellois et récolter chaque année de bons gros sacs de subventions. Ils prenaient en location un maximum de terres, plantaient trois malheureux épis de blé au printemps et passaient à la caisse plutôt que de passer la moissonneuse à l’automne. Ils touchaient ainsi 2 000 F de subventions à l’hectare comme le prévoit la politique agricole commune. Il aura fallu que les jeunes agriculteurs d’Héric, en Loire-Atlantique, où les frères Gerbier bloquaient 600 hectares, hurlent au scandale pour mettre un terme à l’escroquerie.

Grand classique du genre : en 1992, année d’entrée en vigueur des aides européennes à l’hectare, Serge et Jany Gerbier montent une kyrielle de sociétés écrans au nom desquelles ils écument les départements de l’ouest à la recherche de terres libérées par les cessations d’activités laitières, à louer pour une bouchée de pain. En seule Loire-Atlantique, ils captent ainsi 1 350 hectares répartis sur 22 communes au nord du département, constituant un ensemble hétérogène de terres incultes ou de piètre rendement. Malins, les Gerbier brothers savent que les dossiers de subventions sont instruits dans leur département de résidence, la Vienne, et qu’ils n’ont de comptes à rendre à personne en Vendée, en Loire-Atlantique ou dans les Deux-Sèvres, où se trouvait le gros de leur « exploitation » inexploitée.

Emportés par leur boulimie, ils ne réalisent pas que certains jeunes agriculteurs, à la recherche de terres pour s’installer, vont finir par flairer l’embrouille. Epaulée par les syndicats agricoles, dont la Confédération paysanne, l’Ajah (association des jeunes agriculteurs d’Héric) obtient ainsi fin 1997 le gel des aides européennes au groupe Gerbier et, en moins de six mois, l’édifice s’écroule, faute d’argent frais. En mars 98 les frères Gerbier se retrouvent en cessation de paiement et le groupe est liquidé en mai.

L’histoire n’est pas pour autant terminée. Le liquidateur, un certain Bernard Munaux basé à Poitiers, « monsieur injoignable » selon les syndicats, ne semble pas pressé de restituer les terres aux propriétaires. Manière, sans doute, de laisser les baux courir le plus longtemps possible pour ne pas avoir d’indemnités de résiliation à leur payer. Les candidats à la reprise, pressés d’ensemencer les terres avant l’hiver, ont donc dû taper une nouvelle fois sur la table pour faire avancer le dossier. C’est fait depuis le 29 octobre, date de libération officielle des terres en Loire-Atlantique. Les frères Gerbier, quant à eux, se font tous petits en ce moment et refusent de causer à Lulu. Il faut les comprendre, ce sont des paysans très discrets, qui détestent les mondanités médiatiques.