Feuilleton – De l’or et du sang – 5

Publié par lalettrealulu le

Résumé des épisodes précédents

Huit cadavres en quelques mois. Huit morts dans des circonstances de plus en plus spectaculaires : un noyé dans la fontaine de la place Royale, un homme poignardé aux portes mêmes du conseil municipal et six pendus dans la rue Crébillon, étranges fruits accrochés à des guirlandes qui, comme à chaque fois, signent le crime : “ Je vous annonce du sang, je vous promets de l’or ”. Huit cadavres et une question : qui ?

Dans l’épais brouillard où baignent ces faits tragiques, deux personnes trouvent pourtant un chemin. D’une part une clocharde boîteuse surnommée La Bancale, qui aurait même pu assister au dernier forfait des criminels, si elle n’avait succombé, malgré elle, à son irrépressible penchant pour le vin. D’autre part Vendredi, une ravissante étudiante en lettres, qui, consacrant une thèse à Fantômas, a aussitôt reconnu dans la signature des crimes une citation du Maître de l’Epouvante. La police, quant à elle, qui a confié l’enquête à l’une de ses unités d’élite, la Brigade Intervention Terrain Enquête, œuvre dans une ombre si dense que son travail reste entièrement invisible.Bref, tout cela est bien compliqué, et, on peut en croire l’auteur, c’est loin de s’arranger.

Paresse printanière

On était aux derniers jours d’un printemps qui s’était souvent fait porter pâle. Près de six mois s’étaient écoulés depuis le sinistre cadeau de Noël qu’avaient été les pendaisons de la rue Crébillon. À en croire la télévision, le pays vivait au rythme des matches de son équipe de football, d’une nouvelle manière de faire de la politique et d’une délinquance omniprésente. Les faits étaient évidemment bien différents : l’équipe de foot avait moins d’intérêt que les pupilles de La Patriote de Chantonnay. L’aggiornamento politique se limitait à une galerie de ministres aux capacités intellectuelles astucieusement réduites au minimum posant, mâchoires carrées et mains baladeuses, devant des caméras non moins astucieusement installées au beau milieu des foules que leur propre présence suscitait. Et la radieuse Vendredi pouvait tranquillement profiter des rares rayons de soleil en buvant des menthes à l’eau à la terrasse d’un café. Elle était, comme souvent, accompagnée d’Éric, qui, on le sait, s’en tenait, par timidité, au rôle de meilleur ami mais que les robes de plus en plus estivales de Vendredi mettaient au supplice.

L’absence de nouveaux crimes spectaculaires et mystérieux avaient enlevé à Vendredi la matière qui avait un moment alimenté sa curiosité pour leur(s ?) auteur(s ?).

Éric était moins frivole. Il avait vu dans ce mystère une occasion d’impressionner un jour Vendredi et la constance de son amour (inavoué !) pour elle l’avait conduit à tenter, de son côté et sans en parler, quelques recherches. Elles s’étaient jusqu’alors révélées remarquablement infructueuses. Mais Éric était déterminé. Ledit Éric détaillait à Vendredi son goût pour l’hiver. « C’est, disait-il, la saison où la beauté des belles jeunes filles est la plus sûrement établie, car la perception que l’on a de leur grâce n’est point troublée par l’inévitable élément de confusion qu’introduit le dénudement généralisé des corps. En été, les belles jeunes filles sont légion, mais leur beauté est moins sûre.” Il fut tenté d’ajouter “ Toi par exemple… ”, mais s’interrompit et préfera verser de l’eau dans le sirop vert et limpide que contenait son verre.

Eau trouble

Au moment même où le sirop, se mélangeant à l’eau, se troublait légèrement, Éric et Vendredi furent rejoints par Caroline. Caroline était également une belle jeune fille, aussi blonde que Vendredi était brune. Vendredi avait fait sa connaissance quelques jours après Noël (suivez le regard averti de l’auteur) et elles étaient rapidement devenues grandes amies. Éric avait vu cela d’un assez mauvais œil. Certes le visage encore enfantin de Caroline n’évoquait rien d’autre que la pureté. Elle aurait pu, mieux que quiconque, figurer un ange sur une de ces photographies pieuses du début du vingtième siècle. Cependant, une probable (mais légère) jalousie portait Éric à la méfiance et, derrière l’évidente, virginale et tranquille candeur du visage de Caroline, candeur qui, soit dit en passant, affolait la libido d’une part extrêmement conséquente des hommes qui croisaient la jeune fille, derrière cette candeur, donc, Éric soupçonnait les calculs d’une âme pleine de noirceur.

En matière d’estivalité des vêtements, Caroline avait pris plusieurs semaines d’avance sur Vendredi. Éric, lui même un peu troublé par la légèreté et la faible surface du tissu qui habillait Caroline, s’amusait à suivre le regard des passants. Il attira l’attention de ses deux voisines sur le mouvement particulièrement souple qu’effectuait un homme d’un certain âge pour poursuivre son chemin sans quitter les jeunes filles des yeux. Caroline, qui tournait le dos à la rue, dut se retourner.

Éric put alors apercevoir sur l’épaule de l’angélique jeune fille les lignes rosâtres, mal cachées par la fine bretelle de sa robe, d’une petite cicatrice au dessin compliqué. Éric pensa aussitôt à la fleur de Béthune, la marque infamante que porte, au même endroit et dans Les trois mousquetaires, la maléfique Milady de Winter. Il regarda plus attentivement et put distinguer une courte ligne ondulée, semblable à l’eau dans un dessin d’enfant, surmontée de trois petites gouttes disposées en triangle.

Éric ne put réprimer un sursaut. Car de ce symbole, les lugubres Larmes de sang, il connaissait la douloureuse signification et le terrible présage !

À relire

Premier épisode
Deuxième épisode
Troisième épisode
Quatrième épisode