Ramdam dans les rames de tram
Fraude de mieux
N’empêche, le tram gratuit, ça serait vachement payant. La preuve ? Ailleurs, c’est déjà fait.
Pas moyen d’être tranquille dans le tram à mariner sa mauvaise humeur. Un groupe de petits malins s’évertue, avec un certain succès, à tirer des sourires complices aux passagers, qu’ils aient l’air propres sur eux, insupportablement jeunes ou même sans âge. Quatre fois qu’ils font le coup depuis le début de l’année, dénommant leurs opérations « free zones ». Leur pratique perverse consiste à passer la tête dans la portière à quelques stations pour annoncer que sur ce tronçon, la voie est libre de toute escouade de contrôleurs, que chacun peut « voyager tranquille ». Ils sont une quinzaine, disséminés le long d’une ligne, s’avertissant par bigophone portable de l’arrivée éventuelle des fameux contrôleurs. Aucune incitation à frauder, juste une information gratuite. D’ailleurs la gratuité, c’est leur cheval de bataille, à ces ticketophobes libertaires. Le plus souvent, l’accueil est enjoué, intéressé, même si, à l’arrêt rond-point de Vannes, un screugneugneu s’insurge contre cet élan de « soviétisme ». Quelques mercis fusent du tram. Un chauffeur a même pris le micro pour avertir ses passagers de l’arrivée d’une brigade de contrôleurs.
Ces contempteurs du déplacement gratos ont même inventé un nouveau savoir-vivre, dispensé sur un tract distribué lors de leur opération sourire. On y incite à déposer sur les composteurs son ticket valable une heure, à le proposer aux usagers qui montent, ou à les avertir de la présence de contrôleurs à bord, voire à intervenir poliment en cas de contrôle zélé.
C’est vrai qu’à Nantes, chômeurs et rmistes ont droit aux déplacements gratuits. Reste que ces salauds de pauvres doivent aller faire la queue tous les trimestres, fournir la paperasse exigée, admettre ce contrôle social des mal nantis. Certificat de résidence de moins de trois mois, justificatif de ressources. Vous manque un papier. Vous reviendrez. Une humiliation de plus. Et le dispositif a ses exclus : sans-papiers, enfants de chômeurs, smicards, revenus précaires.
Les graves dangers du tram gratos
Quant à l’accès gratuit pour tous, il aurait ses avantages : réduction des dépenses liées à l’accès payant ; billetterie, poinçonneuses, sans parler des salaires des équipes de contrôleurs, de l’instauration de la montée par l’avant, des campagnes de com’ contre la fraude. On vous passe les effets incitatifs sur l’abandon de la bagnole en ville, la pollution ridiculisée, des centaines de Nantais privés de leur stress quotidien dans les bouchons. Le transport en commun gratuit, Chateauroux, Vitré, Morlaix l’ont déjà mis en place. Utopie ? La société de transport est déjà aux trois quarts subventionnée. Pourquoi ne pas assumer l’équité sociale d’un moyen de mobilité entièrement disponible à tous ?
Selon la Tan qui a mené dans le tram, à la mi-octobre, une opération « carton rouge aux resquilleurs », la fraude lui coûterait trois à quatre millions d’euros par an, sans qu’elle veuille bien expliquer d’où elle sort son estimation mirobolante. En extrapolant le manque à gagner des resquilleurs chopés par les contrôleurs, donnée corrigée des variations saisonnières ? *
Les trublions qui mènent cette désobéissance ticketière font de la grivèlerie de transport collectif. Une atteinte insupportable au service public payant. Avec des discours pareils, on rendrait gratuit l’accès aux bibliothèques, les secours des pompiers et l’éclairage public. Les transports gratuits ? Un désastre. Devenues inutiles, les escouades de contrôleurs se retrouveraient à la rue. Et les rues surpeuplées, c’est dangereux pour la circulation.
* « L’estimation que nous utilisons repose sur la mesure du taux de fraude réel valorisé par la recette moyenne d’un voyageur payant », explique la TAN. Euh… Quelqu’un a compris ?