Démantèlement d’un trafic d’alcool au Palais de Région
Le baron Guichard vendait son pinard au président Guichard. C’est l’une des nombreuses trouvailles des incorruptibles de la PJ, qui enquêtent sur les comptes de la Région.
« Faux, usage de faux, abus de confiance, prise illégale d’intérêts et octroi d’avantages injustifiés » : l’information contre X ouverte le 29 avril dernier sur la gestion du Conseil régional ne fait pas dans la nuance. Et Guichard peut s’attendre à quelques ennuis dans les mois qui viennent, en dépit de la bienveillance dont la presse fait preuve à son égard. C’est à la suite d’un rapport de la chambre régionale des comptes (lire l’article) que la justice a décidé de se pencher sur les comptes de la Région. Nulle intervention de la Chancellerie dans cette affaire, comme l’ont supposé certains, soupçonnant Hervé de Charette de vouloir précipiter la chute du calife. Juste un « souci de traitement équilibré » entre le maire de Nantes, mis en examen dans l’affaire de l’Omnic, et le président de la Région. Un coup à gauche, un coup à droite, on n’est jamais trop prudent par les temps qui courent.
Une ardoise de plus d’un million
Les enquêteurs ont commencé à travailler en mai, et les investigations s’annoncent laborieuses. La PJ doit en effet éplucher l’ensemble de la comptabilité de la Région, qui brasse plus de quatre milliards de francs par an. Guidés par le rapport de la chambre régionale, les policiers ont déjà débusqué quelques perles, qui donnent une idée de la désinvolture des services administratifs quand il s’agit de couvrir les dépenses personnelles du président. Tous les menus frais de Guichard sont ainsi pris en charge par la collectivité, de la mise à disposition d’un majordome lorsqu’il loge dans son appartement de fonction, aux tickets d’autoroute quand il se rend dans sa propriété bordelaise. Il est également question de location d’avions privés pour des déplacements sur la Côte d’Azur, dont les motifs restent à expliquer. Pour l’heure le montant des frais injustifiés friserait le million de francs. Cela sans compter la fourniture, par le baron Guichard, viticulteur dans le bordelais, de lalande-pomerol, au conseil régional du président Guichard. Il n’y a pas de petits profits.
Quinze briques de vaisselle
Guichard n’est pas le seul dans le collimateur de la justice. Son directeur général des services, Jean Cuvelier, préfet hors cadre, peut également se faire du souci. Non content d’être grassement payé, logé et nourri par la collectivité, ce brave homme bénéficie également d’avantages en nature des plus contestables. Le directeur a ainsi bénéficié de 154132 francs au titre des frais de réception dans son appartement de fonction pour la seule année 1992. Un montant qui ne tient pas compte des 150000 francs versés au cours de la même période pour l’acquisition de vaisselle, mobilier et linge de maison. Un bric-à-brac hautement fragile, semble-t-il, puisque les policiers ont toutes les peines du monde à le retrouver, en entier ou en morceaux.
Com’ de bien entendu
La région ne se contente pas d’engraisser ses dirigeants, elle arrose également quelques officines qui lui sont proches politiquement. C’est notamment le cas de la société Alphacoms, qui réalise le magazine Le Régional et de la maison d’édition Siloë, qui édite les livres offerts aux jeunes mariés des Pays de Loire. Manque de chance, un citoyen retors vient d’obtenir devant le tribunal administratif l’annulation des marchés passés avec Alphacoms, souscrits sans appel d’offres. La justice pénale ne cache pas qu’elle s’intéresse elle aussi à cet aspect obscur de la gestion régionale.
Donner du temps au temps
Tout bon politique connaît la règle, la justice n’est pas la plus redoutable dans ce type d’affaire ; le pire, c’est l’opinion. L’évolution de ce regrettable dérapage doit, par conséquent, transparaître le moins possible dans les journaux. Le message semble avoir été compris à la direction des deux quotidiens locaux, puisque les papiers des journalistes sortis au moment de l’ouverture de l’information judiciaire ont été radicalement cisaillés. L’affaire est donc, pour le moment, passée quasiment inaperçue à Nantes. L’instruction risquant de traîner en longueur – il faut au moins six mois à la PJ pour boucler l’enquête – Guichard va logiquement profiter de son carnet d’adresses pour empêcher l’affaire de sortir, au nom de la sacro-sainte présomption d’innocence. Il ne reste, après tout, qu’un an avant les régionales. Un an mais un bon fusible. 1998 pourrait être un mauvais millésime pour Cuvelier.