Presse‑O de boudin

Publié par lalettrealulu le

Charbonnisés

Avec un journal tout fait à petites mains, Presse-Océan renoue avec l’artisanat. Les journalistes, eux, baissent les bras. Comment relever un journal en loques ?

« On vit une période en eau de boudin ». Écœurés, démobilisés, les journalistes de Presse-Océan auraient aimé voir leurs dirigeants rebondir sur l’échec des négociations avec Ouest-France pour relancer une dynamique rédactionnelle, un projet d’entreprise, un sursaut en tenue de baroud. « On nous demande de nous remotiver, mais sans le moindre projet motivant », soupire-t-on dans les couloirs des rédactions. D’autant que l’élan était déjà bien émoussé par l’expérience malheureuse de la nouvelle maquette aux pages mélangées, relookées par les sauveurs du Courrier de l’Ouest, qui ont précipité le désarroi des lecteurs et la chute des ventes. Et en fait de plan de bataille, rien n’est sorti de la tente des chefs. « On a l’impression qu’il n’y a aucune stratégie, qu’on navigue à vue, dit un journaliste. On ne comprend pas pourquoi la Vendée qu’on nous présentait comme pas viable jusqu’ici, sauve sa peau, alors que Saint-Nazaire paraît sacrifié.» Les pros de l’info sont pantois : leurs chefs font comme si le quotidien pouvait être réalisé avec l’effectif réduit envisagé dans les accords avec Ouest-France. Il y a un an, un plan mirifique promettait de faire un journal à l’économie en profitant de la puissance de feu d’Ouest-France et de pages communes, limitant de fait la part produite en propre par Presse‑O.

Les accords en cours rompus en septembre dernier, Presse‑O se retrouve face à son destin plombé, et le PDG Christian Coustal prétend que le journal peut se faire avec 56 journalistes au lieu des 74 il y a peu. Découragés, près de vingt ont déjà négocié des départs volontaires. Le plan social envisagé si Ouest-France avalait Presse‑O n’a plus besoin d’être. Bouche-trous sans papiers Ravis de ces démissions, les dirigeants reprochent la panade aux journalistes, sans se mettre en cause. Avec des phrases qui tuent, quand le PDG annonce que lui-même n’a aucun challenge, tout reposant sur la rédaction, et ajoutant avec cynisme : « Si dans trois ans je ferme la boutique, on me trouvera du boulot ailleurs…» Ceci dit à une assemblée de journalistes dont le rédac’ chef Étienne Charbonneau a fait sortir « tous ceux qui ne sont pas professionnels », aussitôt retraduit en « tous ceux qui n’ont pas de carte de presse ». Joli hommage fait aux petites mains, vacataires et correspondants requis par Presse‑O pour boucher les trous des départs volontaires. Des tâcherons que l’on fait marner pour 240 F par jour. Au regard du droit du travail, la formule est un brin anti-conformiste : sans contrat, ces arpètes de plume au rabais sont obligés de payer eux-mêmes leurs cotisations Urssaf, payés par virement bancaire sans justificatif ni fiche de paie. Réclamer un contrat ou un certificat d’employeur ? ils se voient remerciés illico. Aléa de l’exploitation, un de ces soutiers de l’info s’est même vu autoritairement ponctionner son salaire à la source par son employeur, pour rembourser les PV récoltés avec un véhicule de Presse‑O.

Beaucoup de journalistes pensent que le moral ne peut revenir que si l’effectif des rédactions est au moins équivalent à celui des équipes concurrentes de Ouest-France. A condition aussi que le tandem Coustal-Charbonneau, qui cristallise toutes les animosités, soit remplacé par des dirigeants plus respectés. C’est la période des vœux.

Théophraste Grosdos