La Région deale 20 tonnes de poudre
Ah, qu’il est beau, le débit de lait. Deux cent mille bons litres de bon lait pour une bonne action. Soit vingt tonnes de lait en poudre à refiler, pour les beaux yeux des enfants afghans. Poudre aux yeux ?
L’opération vise à accorder un complément alimentaire aux petits Afghans, en les incitant à venir le chercher à l’école. D’un sachet de poudre de 30 grammes, deux coups : enlacté, et scolarisé ! L’opération humanitaire commence par se foutre du monde quand la communication autour de cet élan de générosité parle carrément de “ développement durable ”, alors qu’il s’agit d’offrir un thé au lait quotidien pendant un mois aux 43 000 gamins des écoles d’une province du Nord. Un mois et basta. Ça doit être du durable en CDD.
« Découvrir la misère et le dénuement »
Quant aux mille chers petits écoliers du primaire chez nous, ils ont été conviés à une grande célébration à la Cité des congrès de Nantes. Coût de l’opération de com’ : 12 000 euros. Ce qui vaut bien qu’on se fende, pour eux, d’une distribution de compléments alimentaires un peu plus variés que pour les Afghans : un sandwich jambon et un crudités par gamin, du fromage de chèvre, un dessert lacté, une briquette de lait aromatisé, du jus d’orange. La serviette en papier, la petite cuillère, ça se mange pas. Au goûter, une brioche, un choco BN, une autre briquette de lait. Et cadeau, un joli sac à dos de la Région. Comme tout pique-nique, le déjeuner a fini en un gros gaspillage : sandwichs déballés sans être croqués, fromage boudé, briquettes de lait à peine entamées. Poubelle. Ces enfants bien nourris ont ainsi pu « découvrir un pays lointain, en même temps que la misère et le dénuement des enfants de leur âge »*. Pour faire une belle photo, on leur a demandé d’amener leurs propres litres de lait, qui ont fini en pyramide sur la scène de la Cité des Congrès. Photo. Mais ne dites pas aux mômes que leurs packs de lait n’iront pas en Afghanistan. C’est juste pour l’image. Ne leur dites pas non plus que l’ONG sur le terrain, Acted, ne distribue pas que des vêtements ou du thé, mais participe aussi à la reconstruction de l’ambassade de France à Kaboul**. Les enfants ne comprennent rien aux subtilités de l’humanitaire.
Du côté des vaches, tout baigne, c’est une manière connue d’écouler la surproduction. Si les producteurs ne veulent pas payer de pénalité, ce lait de dépassement de quota doit être soit donné, soit détruit, mélangé au lisier le plus souvent. Mais l’exonération d’amende se limite à 1500 litres par exploitation et par campagne. Petit jeu : qui a dit « L’aide humanitaire ne doit pas servir à réguler les marchés des pays donateurs, ni à gérer leurs excédents » ? Un dangereux trublion nommé Hervé Gaymard, ministre de l’Agriculture français, au sommet mondial de l’alimentation à Rome en 2002. Charité bien ordonnée : converti en dons, principalement pour les banques alimentaires et le secteur caritatif, ce lait de trop évite ainsi de fâcher les contrôles européens. Heureusement que le pauvre monde est là, et le pauvre tiers-monde là-bas.
* Ouest-France, le 14 mars 2003.
** Le site d’Acted