Démantèlement d’un trafic de coca in”
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Qui a dit que l’art était imbuvable ? Le Lieu Unique prouve que Coca Cola vaut mieux qu’Aillagon. Histoire de faire avaler les bulles de la misère du monde et du sang des autres.
La culture est en danger, l’État défaille ? Jean Blaise, le boss du Lieu Unique, a la parade. L’exception culturelle française est sauvée : le privé pourvoira. Démonstration faite en s’acoquinant avec une firme de soda de plomb qui a vocation à dominer le monde depuis son siège à Atlanta : Coca Cola. Plus précisément le département light. L’opération qui démarre en décembre se présente sous la forme d’un labo d’artistes en résidence trois mois au Lieu Unique, chargés d’œuvrer dans le cadre d’une commande de la marque. Une « opportunité », se réjouit Jean Blaise, qui garantit que les neuf plasticiens nantais choisis resteront libres. Pourtant, ils doivent d’abord marner sur le nouveau pack de Coca Cola light en respectant les « contraintes graphiques et morales » de la firme, avant de s’adonner à un autre travail artistique sur le concept Coca light, et là, attention l’audace, jusqu’au détournement s’il le faut !
L’art est-il soluble dans le soda multinational ? On sait que rien ne résiste à la boisson noire à bulles, pas même les pièces de monnaie, les consommateurs du tiers-monde et les boulons à décaper. Il y a pourtant quelques résistances au soda tout puissant, bien loin du laboratoire du Lieu Unique. Le 22 juillet dernier, une campagne de boycott des produits Coca Cola a été lancée par des syndicalistes belges, américains et colombiens, pour protester contre les meurtres des membres du syndicat Sinaltrainal des usines d’embouteillage Coca en Colombie. Huit syndicalistes ont été tués depuis 1990, exécutés par une organisation paramilitaire d’extrême droite, l’AUC. Aujourd’hui, 67 autres syndicalistes et leurs familles vivent sous les menaces de mort permanentes. Outre ces assassinats, le syndicat a été témoin de l’incendie de locaux syndicaux, de l’emprisonnement, la détention arbitraire, la torture et le déplacement forcé de centaines de salariés de Coca en Colombie. Dénoncés comme terroristes par le patron de l’usine Coca de Bucaramanga, des leaders du syndicat Sinaltrainal ont ainsi été jetés en prison en 2002. Le management local des usines encourage ces mesures de terreur. L’emploi et la commandite de ces escadrons de la mort par la firme américaine sont de plus attaqués en justice sur le sol des USA depuis juillet 2001, en vertu de l’Alien Tort Claims Act, loi qui permet de poursuivre des sociétés yankees pour des crimes commis à l’étranger.
L’insoutenable légèreté du Coca
Ce n’est pas tout. Depuis l’été 2002, une campagne est aussi menée aux Etats-Unis contre la politique africaine de Coca qui n’offre aucun accès aux soins aux nombreux ouvriers atteints du sida parmi ses quelque 100 000 salariés en Afrique, où Coca est le premier employeur privé*.
En Inde, dans les régions de Kerala, de nombreux sites d’usine Coca, à Plachimada, Mehdiganj, Sivaganga, Tamil Nadu notamment, sont l’objet de plaintes et de manifestations de riverains qui voient les ressources en eau pillées, sources et rivières ponctionnées pour l’industrie du soda, alors que les rejets des usines polluent les maigres réserves d’eau restantes. Notamment du cadmium cancérigène. En mai 2003, Coca Cola Panama a été condamné à 300 000 dollars d’amende pour avoir pollué la rivière Matasnillo au Panama.
On vous passe le soutien sans faille à Israël assuré depuis trente ans par la firme bienfaitrice de l’humanité, ou l’appui au redoutable dictateur du Nigéria, le sanguinaire général Sani Abacha. Il faut bien, pour faire passer le goût du light, que le soda mondial aille puiser partout des arômes subtils de la mondialisation.
Pas de quoi gâcher trois mois de gentil travail offert à des artistes nantais. Pourvu qu’aucun n’en fasse un coca nerveux.
* The Boston Globe, 11 juillet 2002.