Forces de l’ordre contre force de vente
Sémantique du geste
Ces deux gars-là sont un peu fous. En plein jour, à 17 h 30, le 25 avril dernier, ils ont osé s’approcher d’une « mission de sécurisation », en l’occurrence un car de CRS stationné place du Bouffay à Nantes. Ces deux dingues, tous deux commerciaux, bons pères de famille, la trentaine, viennent de fêter sur leur jour de congé un joli contrat qu’ils ont décroché. Tardif, le déjeuner au Coq en Pâte est bien arrosé. En sortant de table, ils traversent la place à pied et commentent le marché qu’ils viennent de souffler à la concurrence d’un geste expressif signifiant que ces rivaux l’ont eu profond. C’est peut-être inélégant, mais c’est comme ça qu’on parle, en commerciau dans le texte. Enfermés dans leur fourgon bleu, les missionnaires de la sécurité prennent ça pour un bras d’honneur qui leur aurait été destiné. Trois de ces braves fonctionnaires, n’écoutant que leur sens du devoir et de leur dignité, appréhendent avec un peu d’élan l’auteur du geste équivoque. Aussitôt menotté, au sol, trois CRS sur le dos. « Durant le menottage, avons du faire usage de la force stricte et nécessaire conformément aux méthodes de police », explique dans son procès-verbal un des énervés de la menotte.
Le second commercial tente de s’interposer, demande des explications. Embarqués dans le fourgon, ils sont tous deux proprement massacrés, dans les règles de l’art, ça va sans dire. À ce stade, c’est vrai, ils profèrent quelques noms d’oiseaux aux braves CRS qui ne font que leur métier. Les deux inconscients passent huit heures en garde-à-vue, au commissariat central de Waldeck-Rousseau, où un médecin demande quand même de les adresser aux urgences pour passer des radios. Ils sont salement amochés. Cocards, hématomes sur tout le corps, poignets cisaillés par les menottes, au point que quatre mois plus tard, l’un des deux commerciaux en porte encore la trace. Un officier de police ne trouve rien à répondre quand un des dangereux délinquants en col plus très blanc, demande si les menottes sont désinfectées après chaque utilisation. Car si le prédécesseur avait contracté le virus HIV, qui dit qu’un peu de sang ne pourrait pas refiler le sida en se mêlant aux plaies des poignets du dernier menotté en date ? Euh, non, bredouille l’officier de police, les menottes ne sont pas stérilisées…
Les trois braves CRS ayant porté plainte avec constitution de partie civile pour injures, les deux compères fanfarons ont été condamnés chacun en correctionnelle à 1200 euros d’amende, et à verser à chaque flic 250 euros de dommages et intérêts. C’est ça, les corsaires de la sécurité urbaine, ils arrivent à mettre le grappin sur n’importe quel citoyen pour lui faire cracher une prime spéciale. Rentable, la place du Bouffay.