Là où le célibat blesse
Poupées russes
Proverbe russe : qui vend du vent récolte la tempête.Illustration dans une curieuse société de rencontres saute-frontières.
Dominique Blandel a vendu des promesses de mariages sur catalogue. Elle a été recrutée à durée indéterminée en janvier 2000 comme « commerciale en service auprès des entreprises », orientée par l’ANPE vers cette annonce : « Sté de conseil en relations humaines recherche un(e) commercial(e) sédentaire. Avoir le sens du contact, une excellente présentation et une très bonne culture générale. » En fait, il s’agit de vendre des listes de fiancées potentielles pour la société Eurochallenges, une officine dont le siège est à Lyon et qui cherche des clients par petites annonces dans toute la France. Ça s’appelle du courtage matrimonial.
Qui convole, qui qu’on jette
En signant un contrat, chaque célibataire se voit proposer une liste de jeunes femmes toutes plus mimi les unes que les autres. Des Slaves, des Bélarusses, de plantureuses Ukrainiennes, rien que de blondes Petrouckhka adorables. En un an, Dominique Blandel devient une des meilleures vendeuses de ce réseau qui a des succursales dans huit villes de France.
Peu à peu, le ver s’installe dans le fruit. D’anciens clients se plaignent d’avoir payé pour du vent, sans voir jamais la moindre réponse de ces jeunes femmes de l’Est sur papier couché. Les plaintes devraient remonter au siège, à Lyon, où ces clients sont soigneusement embrouillés ou mis en attente interminable au téléphone. Mais quelques-uns de ces déçus se confient à celle qui a signé le contrat à Nantes. Ceux qui devaient convoler ont le sentiment d’être ceux qu’on volait. Et la super marieuse se met à douter sérieusement de la vente de bonheur fumeux.
Au retour d’un arrêt maladie, celle qu’on félicitait et donnait en exemple dans les courriers internes d’Eurochallenges est désormais bonne à virer. Insuffisance professionnelle, dit l’employeur, sans préciser qu’il mesure ses résultats dans des périodes d’absence pour maladie. Comme ça ne suffit pas, on charge la barque, lui reprochant d’avoir détruit des fichiers et même d’avoir alerté l’inspection du travail.
Mouvement des entremettants
Les Prud’hommes de Nantes n’ont pas cru une seconde à son licenciement pour faute grave, et l’ont requalifié en licenciement abusif, condamnant Eurochallenges à 14 338 euros pour préjudice moral, dont 6 000 euros payables tout de suite au titre de l’exécution provisoire, même si Eurochallenges a fait appel de la décision. Seulement voilà. Ces 6 000 euros, l’employeur ne les paye pas, malgré le jugement.
Pour récupérer son dû, Dominique Blandel doit prendre un avocat, qui commet un huissier à Nantes, qui se présente à la boutique à Nantes. Ce n’est qu’une succursale, il faut aller à Lyon. Premier acte manqué, mais dûment facturé à Mme Blandel. L’huissier nantais s’adresse à un collègue à Lyon, qui, divine surprise, se trouve être l’huissier attitré d’Euro-challenges pour récupérer les impayés auprès des clients qui se sentent bernés ou qui ont du mal à régler. Retour des documents à Nantes, pour qu’ils repartent à Lyon chez un autre huissier, qui veut l’original du jugement, pas de copie certifiée conforme. Résultat : sur les 6 000 euros exigibles immédiatement, seuls 1 000 euros ont été versés, réduits à 688,23 euros après ponctions des auxiliaires de justice, avocat et huissier. La salariée de la boîte à mariage n’aura été qu’un an pour le meilleur. Désormais c’est pour le pire.